À 20 ans, alors que je séjournais au flanc du Gange indien, j’ai appris le décès de ma grand-mère Cécile. Partout autour de moi brillait la mort dans un chaos organisé. Des gens venaient par milliers pour brûler leurs défunts sur la place publique et mettre à l’eau leurs meilleures prières sur des petits bateaux-chandelles lors de rituels appelés «pujas». Entre chants dévots et fumée d’encens, j’ai allumé moi aussi une offrande flottante pour honorer le passage de mon ascendant. Les yeux mouillés de tendresse, c’est à ce moment que j’ai saisi la valeur d’allier l’élément du feu à la puissance de l’intention.
«Rien ne peut nourrir l’âme excepté la lumière.» ー Rumi
Au travers époques et cultures, l’être humain utilise le feu sous diverses formes pour marquer les événements importants. Des bougies d’anniversaire sur le gâteau aux lampions qui bordent le cercueil, en passant par la tradition judéo-chrétienne de combiner les chandelles individuelles des mariés en une grande flamme commune, le feu est un noyau lumineux au cœur de l’expérience rituelle. Même les mariages laïques y trouvent leurs comptes, avec des adaptations créatives des pratiques anciennes. Le symbolisme du feu revêt maints aspects: amour, transmutation des difficultés, espoir, unité, pureté, joie… Chacun y puise son inspiration à sa manière.
12 ans après mon retour de l’Inde, mon conjoint Jean-David et moi sentions le besoin d’honorer notre relation amoureuse après 13 ans de vie commune et la naissance de nos deux enfants. À la lumière de mes souvenirs du Gange, je me suis mise à rêver d’une cérémonie qui permettrait à la communauté de se réunir et de se recueillir en notre union ravivée. Je voyais un banc de lucioles au grand air d’été. Avec l’aide de mes fées marraines Carmelle, Francine et Louna, j’ai ainsi entrepris la fabrication d’une centaine de petits bateaux-chandelles qui allaient porter les prières des invités. Quelques écorces d’arbres, baguettes en bambou, papiers de soie colorés et lampions de cire d’abeille plus tard, la célébration pouvait commencer.
C’était dans le magnétisme de la pleine lune à la Chaumière Fleur Soleil que nous nous sommes rassemblés. En une majestueuse procession cadencée de didgeridoo et de percussions, les convives ont déposé un à un leurs bateaux sur l’étang central. Les gestes étaient lents, bercés par une atmosphère de révérence qui ー ignorait-on à ce moment ー allait s’imprégner au fond des cœurs. La beauté qui émanait de la scène prenait sa source dans la caresse du feu.
Insuffler un vœu à l’énergie d’une flamme crée un puissant dialogue entre soi et l’ensemble de la vie. Si les pujas indiennes m’y avaient initiée, notre mariage a assit en moi un amour profond pour l’interaction avec le feu dans un contexte rituel. Encore aujourd’hui, on m’en parle comme si c’était hier. Ces expériences sont des pierres angulaires qui ponctuent la trame de l’existence et qui génèrent une force pour demain. N’attendons pas les grandes occasions; parsemons plutôt notre quotidien de ces instants d’influence. C’est la prémisse des lanternes d’Astrancia.
